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La question sociale en débat

mercredi 16 mai 2007, par SUD éducation

En prônant : la fierté nationale contre l’immigration, la valeur travail contre le droit du travail, Nicolas Sarkozy a retourné à son profit « la question sociale » ouverte en 2006 par le NON au traité constitutionnel européen, suivi de la révolte des banlieues. Victoire idéologique de la droite, défaite intellectuelle et morale de la gauche : Il y a péril.

Ce n’est pas ici le sort de la « gauche » caviar aujourd’hui faisandée qui fait souci, mais bien la perspective pour une gauche vivante de se régénérer, c’est-à-dire de sa capacité à mener une bataille d’idées.

A cette fin, vue de ma place d’enseignant en LP de banlieue, participant au réseau d’éducation sans frontière, je mets au débat dans cette tribune « l’état de la question sociale » .

Claude DELORME
SUD ÉDUCATION

Union syndicale SOLIDAIRES Rhône


Sur un plan symbolique : Droit de l’enfant, Droit à l’éducation pour tous, Liberté de circulation et d’installation des familles. ALORS, une seule expulsion, c’est une expulsion de trop ! Ceci est notre idéal moteur ; il relève de notre conception d’un monde libre et solidaire.

Sur un plan politique : La loi CESEDA1 - dite loi Sarkozy- réduit l’étranger à la force de travail qu’il représente, en niant les droits attachés à sa personne. Elle désigne comme « immigration subie », l’immigration familiale. Ministre, Sarkozy a offert au patronat un marché du travail « hors la loi » vis-à-vis du Code du Travail et ceci de façon parfaitement légale. Le pragmatisme de Sarkozy, au sens qu’il reconnaît les rapports de forces, lui a permis de tirer le maximum de l’effet Le Pen, avec le consentement d’une gauche trop heureuse de ne pas avoir à faire le sale boulot.

Sur le plan institutionnel : Sa victoire à l’élection présidentielle consacre la défaite intellectuelle et morale de la Gauche. Aussi, la légalité de lois, même iniques, ajoutée à la légitimité électorale vont conforter un pouvoir présidentiel déjà omnipotent dans l’institution de la Vème république. C’est le « droit bourgeois », c’est « la légitimité du patron » qui sont portés au sommet de l’état. C’est à la restauration de l’idéologie capitaliste, sans vergogne et sans masque, à laquelle nous allons êtres désormais confrontés. Ce pouvoir a les traits de l’hégémonie.

Sur le plan idéologique : ce qui caractérise l’hégémonie, c’est que « ça tient tout seul ». Par un consensus social qui relève de la servitude volontaire. Chacun pour soi, on « pense sincèrement » défendre son pré carré : « travailler plus pour gagner plus ». Que les autres crèvent. Les autres, c’est à dire tous ces fainéants : les malades , les vieux, les chômeurs RMIstes et les étrangers bien-sûr. Cette servitude n’est rendue possible que par cette ambiance culturelle, intellectuelle et morale qui prône l’individu-roi ; ou chacun est sommé d’être exemplaire, de donner le meilleur de lui-même. Le mérite, sinon rien. De là, la copie sarkozienne d’un triptyque moral d’inspiration vichyste : Morale de travail / gouvernement pater familias / fierté de la nation.


Sur un plan syndical :
la politique de « l’immigration choisie » est une politique de gestion de la main-d’oeuvre à l’époque de la mondialisation dans son double aspect : délocalisation “en chine” et délocalisation “sur place”. Main d’oeuvre “sans papiers” en France, circulaire BOLKEINSTEIN en Europe. Dans tous les cas, une seule obsession : réduire le coût du travail. Si Sarkozy est à la fois le ministre de la chasse à l’enfant et celui qui a le plus régularisé cela ne doit pas faire polémique entre nous. La contradiction n’est qu’apparente si l’on comprend que la politique de « l’immigration choisie » est le coeur de la question sociale.

La question sociale ainsi posée, la résistance se présente à plusieurs niveaux :

Sur le terrain de la légitimité, au niveau des droits de l’homme :
Des lois contraires aux droits de l’homme, contraires à la démocratie, ne sauraient être légitimes, fussent-elles ratifiées par les urnes. Personne ne souhaite que l’histoire du petit caporal devenu Führer ne se répète ; parfois l’histoire bégaye. Mais là, il nous faut convaincre. L’appel2 à la résistance, comme un cri du cœur, ne saurait suffire, car les repères sont brouillés. En effet, c’est au nom de ces mêmes valeurs démocratiques et des droits de l’homme que Bush fait la guerre en Irak. La propagande, des médias de masses, nous vend "la guerre démocratique" comme elle nous vend des "candidats". Ce terrain politico-médiatique est faisandé. C’est pourquoi, pour être entendu, il faut aussi que nous pensions en terme de rapports de forces. Il faut donc nous placer au niveau de la défense syndicale et sociétale pour refonder une légitimité à partir de nos combats.

Sur le terrain syndical
Exiger la régularisation de tous ! C’est fondamental ; c’est une revendication qui met en perspective une autre société. Nous sommes d’une même planète, d’un point de vue écologique mais aussi tout simplement d’un point vue social et humain ; c’est le capitalisme qui nous dévitalise en réduisant l’humain à des ressources matérielles, exploitables, jetables. Nous ne devons pas céder . C’ est aussi parce que la « gauche » s’est voulue le chantre de la défense du pré carré de l’état-nation , à travers le fameux « La France ne peut pas accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part » de Rocard qu’ aujourd’hui Sarkozy est président. Face à l’état-nation, face à l’Europe forteresse, nous devons mettre en perspective « L’Europe » solidaire des peuples du monde. Une perspective internationaliste digne de ce nom.

Sur le terrain psycho-idéologique :
Dans ce monde de l’individu-Roi, la peur c’est l’autre. Aussi, le travail du gouvernement Pater familias consiste à entretenir la menace et gérer la peur, passant de la provocation : « la racaille » dixit l’autorité, à l’état de siège dixit la sécurité .

Sur la question sociale, le bilan de la dernière législature est éloquent comme le titre la Ligue des droits de l’homme : « Bilan d’une législature xénophobe : cinq années de chasse à l’étrangers ». Pourquoi tant d’acharnement ? Pourquoi tant de haine ? Pour quoi faire ? Parce que c’est à ce prix que l’on peut entretenir la division des salariés et faire croire à un « Smicar blanc » que son ennemi c’est « un Rmiste bronzé ». Entretenir la division des travailleuses/eurs entre français/es et immigré-e-s, entre vielle et nouvelle immigration, entre les bons et les "fainéants", rien de nouveau sous le soleil ; sinon que cette fois, le pouvoir fabrique volontairement l’équivalent de ce qu’étaient les juives et les juifs en 1939. Ne pouvant les chasser tous, il terrorise des gens sans droit, sans défense, faisant des "sans papiers" des personnes réduites à vivre cachées, mais forcées aussi, par la circulaire Sarkozy, à se signaler à la préfecture. Le sans-papiers : bouc émissaire de proximité , épouvantail pour tous les fantasmes sécuritaires . Aussi, il nous faut empêcher ces expulsions. Recourir à la désobéissance civile si nécessaire ! Plus qu’une revendication, c’est une attitude pour faire face à la détresse humaine que nous côtoyons tous les jours.

Le travail de RESF

Quant à la prospective qui semble faire polémique de savoir si Sarkozy va « plutôt expulser massivement » ou « plutôt régulariser massivement », je répondrais : « les deux mon capitaine ». La question importante n’étant pas celle de la quantité, puisqu’il ne pourra ni les expulser tous, ni ne voudra les régulariser tous ; à travers ces éventuelles décisions, la question est celle de la mise en scène du pouvoir. Il s’agit pour le pouvoir de "vacciner"3 la population, avec force rappels . Pour se faire : toujours entretenir la menace et gérer la peur ; c’est la condition pour que « ça tienne tout seul » ; l’hégémonie est à ce prix.

Dans ces conditions : obtenir la régularisation de quelques uns seulement relève de l’état d’un rapport de force global qui prend en compte tant la pression démographique, l’état du marché du travail et in fine, l’état de nos mobilisations. Quelle que soit l’importance des régularisations, qu’elles soient “arrachées" ou “choisies”, ne perdons pas de vue qu’ il s’agit, dans le meilleur des cas, d’un titre de séjour d’un an , renouvelable, qui place l’étranger en situation de subordination renforcée quant à son éventuel contrat de travail. Subordination liée, non plus seulement au contrat de travail lui-même, mais au renouvellement de son titre de séjour. Et de fait, alors que le Code du travail4 prévoit une carte de séjour mention « salarié » pour l’étranger en CDI ou avec un CDD de plus d’un an, certains se voient déjà attribuer une mention « travailleur temporaire ».

Quelle prospective ?

- La « Tachérisation » est annoncée : coupes claires dans le droit du travail, dans la protection contre les licenciements et le droit de grève, dégraissage du service public . L’angoisse liée à la peur de l’avenir ne peut que perdurer ; et tout semble prévu, le nouveau ministère de l’immigration et de l’identité nationale aura en charge la gestion de cette angoisse.

- La question qui se pose à nous, face aux menaces, semble incommensurable. Comment faire le lien, le lien en tant qu’unité de penser et de combat, à partir de la multiplicité de nos situations.

- Le travail de réseau, initié par RESF, est un bon exemple, aussi comme méthode, pour construire du lien avec l’ensemble du corps social. Les principes et la symbolique affichée sont au service de la détresse humaine, sans calcul, sans mesure. Cette méthode doit pouvoir faire école.

- Les organisations syndicales : toutes ont à prendre à leur compte la dimension politique du combat des « sans papiers » comme pointe de touche de la défense du contrat de travail de tous les salariés. C’est un enjeu immédiat face aux menaces en cours. Elles le feront, si elles ne veulent pas sombrer dans un syndicalisme corporatif de type mussolinien que le pouvoir projette à travers la réforme de la représentativité syndicale ; représentativité qui ouvrira aussi ses portes, soyons en sûr, aux syndicats maisons.

Si la campagne électorale, à travers les médias de masses, a pu inhiber momentanément la raison sociale au profit de l’agitation politicienne, la mémoire collective n’a rien oublié : ni le NON au referendum, ni la révolte des banlieues, ni la victoire contre le CPE, pas plus que mai 68 . Le vote5 anti-Sarkozy de la jeunesse et sa réaction à chaud en témoigne.

Le mécontentement prévisible de cette politique antisociale annoncée, dans ce contexte de défaite de la Gauche et de ses partis, créera un espace au syndicalisme de masse pour s’arracher au corporatisme et s’inscrire dans une perspective de syndicalisme de transformation sociale.
Si le syndicalisme fait ce pari, alors, l’hégémonie sera en crise.





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